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(Texte initialement paru dans Violences numéro 11, parution octobre 2020 – cliquer ici pour le commander)

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1.

Le mythe de l’homme-arbre… Une des premières choses dont m’a parlée Alekseï, quand je l’ai rencontré il y a quatre ans. J’ai d’abord cru à un plan drague, un boniment qu’il racontait à toutes les dekaki, mais j’ai vite compris que non : l’homme-arbre c’était son truc. D’après lui il existait pour de bon – là, malgré sa drôle de tronche, il a commencé à m’intéresser : j’ai toujours eu un faible pour les dingos.

L’homme-arbre appartiendrait depuis presque trois siècles à une famille qui le séquestre et s’en repasse la garde de génération en génération. Il s’agirait d’un type souffrant d’un handicap et d’une grâce le rendant unique – une malédiction et une bénédiction dans le même corps. Son métabolisme ne fonctionne pas normalement. L’homme-arbre ne s’éveille qu’une heure par semaine. Le reste du temps – cent soixante-sept heures –, il dort. Son cycle de sommeil a influencé son espérance de vie. Cette semaine complète équivaut pour lui à une nuit de huit heures, en totalité constituée de sommeil paradoxal. Autrement dit, entre le moment où il ferme les yeux et celui où il les rouvre, l’homme-arbre rêve non-stop. Le grand bain dans l’inconscient collectif. Première conséquence : il vieillit vingt fois plus lentement que nous. Âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans cette année, il en avait quatre-vingts au temps de Pierre le Grand, cinquante en l’an mil, a débuté sa puberté au troisième siècle de notre ère et serait né au milieu du deuxième avant Jésus-Christ. Seconde conséquence : ses rêves contiennent toute la mémoire du monde.

Après m’avoir raconté ça et avant que je pose la moindre question, Alekseï s’est empressé d’ajouter c’est vrai, c’est pas une métaphore, c’est une vraie personne. Il vivait caché dans une forêt de Sibérie jusqu’en 1700 et quelques. Un type d’ici, un commerçant en voyage pour ses affaires, l’a trouvé endormi et ramené à Mertvecgorod. Quand il a compris de quoi il retournait, il l’a évidemment gardé prisonnier et s’est débrouillé pour obtenir à la fois la protection du tsar et celle de plusieurs banditski importants. En jouant sur tous les tableaux il ne craignait ni ceux qui auraient pu convoiter son nouveau trésor, ni ses protecteurs eux-mêmes, chacun gardant l’œil sur les autres. En échange, tous avaient le droit de passer une heure par mois en tête-à-tête avec l’homme-arbre pour le questionner.

Moi aussi, j’avais des questions ! Comment se nourrissait ce con ? Par quel miracle avait-il survécu plus de deux mille ans, en dormant la quasi-totalité du temps, sans se faire trancher la gorge par un abruti quelconque ou simplement bouffer par une bête sauvage ? L’histoire ne tenait pas debout mais ça n’empêchait pas Alekseï d’y croire dur comme fer, autant convaincu par ses fariboles que par la certitude que je l’étais aussi.

Les années ont passé, le marchand a transmis le trésor à son fils, son fils l’a transmis au sien, etc. L’homme-arbre n’a jamais quitté cette famille. Désormais il paraît qu’ils vivent dans un hôtel particulier à Ul’tramarin. Tu imagines leur fortune ? À la grande époque on parlait de 100000 dollars rien que pour passer une minute avec l’homme-arbre, la folie ! Plus de sept millions de ₱ ! Mais tu y crois vraiment, je l’ai questionné, et il m’a regardée comme si j’étais la dernière des imbéciles, comme si je lui demandais s’il était vraiment sûr que ce machin brillant, dans le ciel, qui disparaît chaque soir et revient chaque matin, s’appelle bien le soleil. Je n’ai pas insisté. Si ce personnage farfelu et improbable comptait à ce point pour lui, pourquoi lui casserais-je les couilles ?

Tous les trois ou quatre mois, l’homme-arbre revenait sur le tapis, jamais très sérieusement, comme une marotte qu’Alekseï n’ignorait pas devoir abandonner un jour mais à laquelle il s’accrochait. Et la semaine dernière, voilà qu’il a débarqué chez moi – on n’habitait pas ensemble et après tout ce temps réussissions à garder l’un pour l’autre quelques zones d’ombre – avec son regard exalté des grands jours et un sourire jusqu’aux oreilles. L’homme-arbre, il a gueulé. Y avait longtemps, je me suis dit en l’embrassant et en nous servant du thé. L’homme-arbre, chérie, je sais où ils le planquent. Il est en train de crever. Ils l’ont abandonné à son sort. Le cancer. Tu m’étonnes, je me suis dit, trois cents ans à Mertvecgorod, moi aussi j’aurais le cancer. Tu te rends compte, Olya ? La mémoire du monde ! Plus de deux mille ans qu’il est sur cette Terre ! Et ils le laissent crever, plus personne ne s’intéresse à lui ! Alors je me suis dit qu’il fallait le libérer. On va le ramener en Sibérie ! Il a bien mérité de mourir chez lui, non, depuis tout ce temps ? Je me suis renseigné : si la famille à qui il appartient vit bel et bien à Ul’tramarin, lui par contre est toujours enfermé dans sa cave pourrie, sans surveillance. Ça fait des années que personne n’est plus venu consulter l’homme-arbre, c’est même pas sûr qu’ils continuent à payer le krysha, plus personne n’y croit ! Ça alors, je me suis dit, plus personne n’y croit, putain, quelle surprise ! On risque quoi, il a continué, il suffit qu’on se fasse passer pour des cambrioleurs ! J’en suis restée légèrement interloquée. Des conneries, on en avait commises ensemble deux ou trois, mais le coup du kidnapping en amoureux, grande première. Ce qui tue l’amour, dans le couple, c’est la routine. Comment ça, tu sais où ils le planquent, j’ai demandé. C’est un des djadi avec qui je suis en bizness qui m’a mis la puce à l’oreille, alors j’ai suivi la piste et un soir je suis allé vérifier par moi-même. Je l’ai aperçu. Je l’ai même pris en photo, regarde ! Il m’a montré son smartfon et j’ai distingué à travers le soupirail d’une cave aux barreaux épais comme mon poing, pixelisé à mort à cause du zoom, un vieillard chenu – endormi, évidemment –, torse nu, vêtu d’un jean en loques, maigre comme un échappé des camps, baigné dans une lumière jaune bizarrement douce et chaleureuse.

Alors, il m’a demandé. Il était vraimentexalté. On allait le faire pour de bon. Après tout, pourquoi pas ? On s’est décidé pour le surlendemain.

En fin d’après-midi on est parti en métro. Une bonne trotte. Andru nous rejoindrait sur place avec la Volvo. Pourquoi il vient pas directement avec nous ? Parce qu’il a des trucs à faire et nous, faut qu’on passe chez le mec. Chez quel mec ? Tu sais bien, le mec, a insisté Alekseï – et alors j’ai pigé, ah, oui, le mec. Il a hoché la tête

Trois heures plus tard, après je ne sais pas combien de changements, dans des rames de plus en plus vétustes et désertiques, plus une étape chez le diler, nous sommes descendus au nouveau terminus de la Titov, au fin fond du rajon 13, là où l’avtostrada numéro 6 quitte la ville et devient interdite d’accès aux automobilistes. Le temps de fumer une sigareta, on a vu passer deux convois. Un depuis le sud en direction de la Zona, une douzaine d’énormes camions bâchés qui fonçaient en traînant derrière eux une odeur de mort, conduits par des types entièrement vêtus de combinaisons blanches et masques à gaz, et un dans l’autre sens, trois camions militaires de transport de prisonniers, dont les chauffeurs, en uniformes noirs, cagoulés, nous ont regardé d’un sale œil.

Autour de nous, pas grand-chose à part de vastes espaces vides, des prospekti déserts et quelques immeubles aux fenêtres masquées par des plaques d’acier. Chouette ambiance, j’ai dit à Alekseï, on devrait peut-être y aller avant que les drones nous repèrent, non ? On a jeté nos mégots et on s’est mis en route. On trimbalait deux gros sacs à dos avec tout le nécessaire : cagoules, serre flex, ruban adhésif bien épais, outils de crochetage, lampes et en prime un taser et un pistolet d’alarme imitant parfaitement le Zastava M57. Tandis que nous remontions le prospekt 718 j’ai désigné un immeuble à Alekseï : tiens, quand j’étais ado, je suis sortie avec un gars qui vivait là. Il s’appelait Dimitri. Son père était opérateur de drone à domicile. Quel métier de merde, a répondu Alekseï. J’ai acquiescé. On s’est éloigné de l’immeuble, toujours en direction du sud. Grâce à une appli illégale mais très répandue, on possédait quelques secondes d’avance sur le parcours des drones. Même si l’appli plantait une fois sur deux, c’était toujours ça de pris. De toute façon, pour l’instant, on ne faisait rien de mal.

La maison, à l’écart de tout, volets fermés, plongée dans le noir, occupait un terrain boueux. Le ciel plutôt dégagé laissait voir des étoiles et un morceau de lune. Autour de la baraque, quelques voitures étaient garées n’importe comment, plus du genre épave d’inspiration polonaise ou ukrainienne que grosses BM financées par un voyant loué 100 000 dollars la minute. Pas de drone ni de garde. T’es sûr qu’on est au bon endroit ? T’inquiète, a répondu Alekseï, c’est comme je t’ai dit, ils l’ont abandonné. Il est à la cave, perdons pas de temps, Andru va pas tarder à arriver.

2.

On s’était offert un petit fix juste avant de décoller. Nos trois faces blanches comme des culs et nos pupilles tellement dilatées qu’elles occupaient tout l’œil auraient rendu fou de bonheur n’importe quel kop. On roulait sur l’avtostrada numéro 4 depuis une demi-heure. Assise à l’arrière, fascinée, je ne quittais pas le vieux des yeux. Il dormait. Évidemment. Comment croire que ce type puant la crasse et pesant deux fois moins que moi soit âgé de plus de deux mille ans ? À l’avant, Alekseï et Andru écoutaient Comatose Vigil et discutaient. À cause de la musique je n’entendais pas un mot de ce qu’ils racontaient mais ça ne me dérangeait pas. Je me suis penchée entre les deux sièges. Comment on va faire pour passer la frontière avec le vieux, j’ai demandé à Alekseï. Andru a répondu t’inquiète, on va le planquer dans le coffre, dans ce sens ils fouillent jamais, c’est dans la direction Moscou-Mertvecgorod que ça craint.

À une heure du matin on a passé la douane comme des fleurs, des gouttes dans les yeux pour nous composer une tête à peu près normale. Andru avait raison, ils n’en avaient rien à foutre de nous, en plus il pleuvait et c’est tout juste si le mec ne nous a pas engueulés parce qu’on l’obligeait à quitter son bureau pour contrôler nos passeports. Une fois en Russie, l’homme-arbre sorti du coffre et réinstallé peinard sur le siège arrière – il ne s’était rendu compte de rien, branché comme un bienheureux sur ce bon vieil inconscient collectif, quelle blague – on s’est offert une deuxième tournée de came.

On se relayait au volant. C’était pas la première fois que ça nous prenait d’aller à Moscou sur un coup de tête, mais là le voyage s’annonçait bien plus long. À quinze heures on s’est offert un McDo sur la Place Rouge, grand-père pionçant toujours pendant qu’on dévorait nos frites et nos hamburgers comme des morts de faim. Alekseï a sorti une carte et a tapoté Oust-Ilimsk du doigt. Ça c’est la prochaine étape, il a annoncé. Et ça, c’est la forêt dont il est originaire, on va le déposer en lisière et puis voilà.

Cinq mille bornes. On en avait pour une grosse semaine. Vous en faites pas, avait précisé Alekseï au début du périple, j’ai pas mal de fric d’avance, on va bien se marrer. On s’était regardé en souriant avec Andru, lui comme moi on n’en pensait pas moins, mais toute cette aventure faisait somme toute une belle balade et le vieux, qu’on le veuille ou non, on lui avait rendu un fier service en le sortant de cette cave. En tout cas il avait le sommeil lourd, on ne pouvait pas lui enlever ça.

Faudrait pas lui acheter des fringues, j’ai demandé, et ils ont dit t’as raison, merde, on est trop cons de pas y avoir pensé. On s’est pris un fou-rire en l’imaginant se balader nagoj dans la taïga, à cette période de l’année il devait faire quatre ou cinq degrés en pleine journée et va savoir combien la nuit. On a dévalisé les boutiques et Alekseï m’a offert un super manteau et à Andru une cravate pas possible, un truc que même le pire des oligarques trouverait de mauvais goût. On a équipé le grand-père – j’avais quand même du mal à l’appeler l’homme-arbre, y a qu’Alekseï qui semblait trouver ça naturel – et nous sommes repartis.

Trajet magnifique, ciel glacé, transparent comme la banquise, plaine à perte de vue, ça changeait de la pollution dégueulasse et des immeubles crasseux. On a dormi dans des auberges et des hôtels, le vieux dans une chambre avec Andru et Alekseï et moi dans une autre, sauf une nuit où on a baisé tous les trois.

Un soir le vieux s’est réveillé, on jouait aux cartes, ça nous a foutu une trouille de tous les diables et passée la surprise Alekseï a essayé de lui poser des questions mais comme on était fin bourrés ça ne rimait à rien, il répétait parle-moi, parle-moi pendant qu’Andru et moi luttions contre le fou-rire, son interlocuteur en pleine débandade vociférait des trucs incompréhensibles, si ça se trouve il parlait un dialecte oublié depuis mille ans, ou alors c’était juste un vieux normal et il se tapait une crise de panique en se demandant ce que lui voulaient ces trois fils de pute qui l’avaient enlevé, pour finir au bout d’une heure il s’est rendormi. Alekseï était désespéré, inconsolable, et nous sur le point de nous pisser dessus tellement ce sketch était absurde. Ça nous a occupé tout le reste du trajet, « parle-moi, parle-moi », Alekseï faisait la gueule mais on se marrait comme des débiles, sacrée bande de bras cassés.

Oust-Ilimsk marquait la fin de notre petite épopée. Dans la chambre d’hôtel Alekseï a ressorti une autre carte et nous a indiqué un village. Vanavara. On va louer un quatre-quatre, les routes sont trop pourries pour la Volvo, et on va le laisser là, il a dit, en lisière de la forêt. C’est ici qu’il s’est fait choper il y a deux cent soixante-dix ans. Vanavara, j’ai demandé, t’es sérieux ? Il m’a regardé sans comprendre et je me suis presque mise à crier, putain, mais tu sais pas que l’événement de la Tunguska c’est juste à côté ? Le quoi, il a demandé. Une météorite qui a creusé un cratère énorme, a répondu Andru, non mais sérieux, ça fait des années que tu t’excites sur cette histoire et t’as jamais fait gaffe à ça ? Et comment tu sais que c’est à côté de ton truc, a demandé Alekseï, vexé. Parce que je sais lire une carte, dourak, j’ai répondu. J’ai cherché la fiche Wikipédia sur mon smartfon : « L’événement de la Toungouska est la génération d’une importante onde sonore survenue le trente juin 1908 vers sept heures treize en Sibérie centrale, dans l’Empire russe. L’énergie, équivalente à environ mille fois celle de la bombe nucléaire d’Hiroshima trente-sept ans plus tard, a détruit la forêt sur un rayon de vingt kilomètres et fait des dégâts jusqu’à une centaine de kilomètres. Plusieurs hypothèses scientifiques ont été émises sur l’origine du phénomène : météorite, foudre, méthane échappé de conduits volcaniques, etc. L’hypothèse la plus plausible, et retenue au début du vingt et unième siècle, est celle de la désagrégation d’un météoroïde à une altitude comprise entre cinq et dix kilomètres. Cela fait de l’événement de la Toungouska le plus important événement connu de l’histoire humaine dû à la rencontre d’un tel corps avec la Terre. »

Alekseï m’a regardée, épaté. Putain de merde, il a dit, ça alors, et vous croyez qu’il y a un rapport ? Comment veux-tu qu’on sache, on a répondu. De toute façon, d’après ce que tu racontes, si ton vieux est bien originaire de là, il s’est fait choper deux siècles avant.

 

3.

On a campé quelques jours en bordure de la Taïga, au nord du village. On avait beau être en avril, il fallait avoir la santé. Mais on ne pouvait pas lâcher le vieux comme ça, on voulait attendre qu’il se réveille. D’après Alekseï il était réglé comme une horloge et ouvrirait les yeux mercredi à vingt-deux heures. Ça nous laissait deux jours à rien foutre. On s’est éclatés. Des balades, de la came, des poissons, la belle vie.

Le vieux, aussi ponctuel que prévu, s’est réveillé le jour dit à vingt-trois heures – en tenant compte du décalage horaire par rapport à la dernière fois. Il s’est mis debout. Avec ses bottes trop grandes, son pull trop large et son manteau d’hiver il avait une drôle de dégaine, mais son regard soudain de braise, magnifié par les flammes, lui a conféré un charisme inédit. Il avait presque cent ans, ce fils de pute, ou plus de deux mille, selon comme on voyait les choses, et là, pendant quelques secondes, éclairé par le feu, au milieu de nulle part, sous la nuit sibérienne, il ressemblait à une créature mythologique, une espèce de divinité si ancienne que personne ne se rappelait son nom. Mon cœur battait la chamade et je suis sûre que celui des deux autres imbéciles aussi. On a fermé nos gueules pendant que les narines de l’homme-arbre frémissaient et que ses yeux devenaient incandescents, éclairé par un brasier intérieur. Il nous a tourné le dos et s’est éloigné vers la forêt toute proche. Juste avant de disparaître pour de bon dans l’obscurité, avalé par la nuit, il nous a fait face une dernière fois. Le bras droit bien tendu dans notre direction, il nous a adressé un magnifique doigt d’honneur en crachant à ses pieds.

Bon, on fait quoi, maintenant, a demandé Andru. J’ai proposé qu’on dorme et que demain matin on aille voir le fameux cratère. Après tout on n’était pas très loin et ça apporterait une belle conclusion à ces vacances placées sous le signe de la bizarrerie.

 

4.

« Dans la matinée du 30 juin 1908 […], quelques témoins voient passer une boule de feu dans le ciel sans nuage de la Sibérie centrale. Celle-ci explose à une altitude comprise entre 5 et 10 kilomètres, au-dessus de la rivière Toungouska Pierreuse, à 63 km nord-nord-ouest du village de Vanavara […] à 7 h 14 locale […]. Cet événement est enregistré, sous forme de séisme de magnitude 4,5 à 5, à 7 h 17 min 11 s, à l’observatoire magnétique d’Irkoutsk, à 1 000 km de là.

La puissance est estimée à environ 10 à 15 mégatonnes équivalent en TNT, soit environ 1 000 fois celle de la bombe qui détruisit Hiroshima. Lors de l’événement, 2 000 kilomètres carrés de forêt sont balayés, 60 millions d’arbres abattus. Une seule victime est enregistrée. Le souffle fait des dégâts sur plus de 100 km et la déflagration est audible dans un rayon de 1 500 km. De nombreux incendies se déclenchent, brûlant des zones forestières pendant plusieurs semaines.

Un vortex de poussières et de cendres se forme et est entraîné jusqu’en Espagne par la circulation atmosphérique, créant des halos dans la haute atmosphère, qui s’étendent sur tout le continent. On peut observer des couchers de soleil très colorés et une luminosité exceptionnelle en pleine nuit est constatée pendant plusieurs jours en Europe occidentale, à tel point que l’on peut lire un journal de nuit. […] L’onde de choc fut enregistrée en Europe occidentale et aux États-Unis. […]

L’éloignement de la région et les troubles en Russie ne permirent d’effectuer une étude sur place qu’en 1927, par une équipe russe menée par Leonid Koulik. Sur les lieux, les scientifiques découvrirent stupéfaits qu’il n’y avait ni cratère, ni trace d’impact, ni débris. Avec l’arrivée de la Seconde Guerre mondiale, puis de la guerre froide, seules deux expéditions purent retourner enquêter en 1958 et 1961. On découvrit une multitude de petites sphères de métal et de silicates dispersées dans le sol de la région, ce qui permit d’émettre quelques hypothèses. Une étude américaine en 1993 avança qu’il s’agissait d’un petit noyau cométaire, essentiellement composé de gaz gelés s’étant vaporisés et explosé entre 6 et 9 km d’altitude, le reste de la matière étant dispersé en une pluie de sphérules[1]. »

« La météorite étant tombée en pleine forêt, il sembla aux explorateurs qu’elle n’avait fait aucune victime humaine. Pourtant ils découvrirent sur le bord du cratère, un samovar et une pioche ; ils décidèrent alors de se rendre au plus proche village, situé à cent vingt kilomètres du lieu du cataclysme, afin d’interroger les habitants sur ce phénomène qui n’avait certainement pas dû passer inaperçu. Le souvenir en était encore très vif ; un paysan, nommé Semenow, déclara : « Il était environ 8 heures du matin et je me trouvai devant ma maison lorsque soudain je vis apparaître dans le ciel, au nord-ouest, une immense mer de flammes. Il fit tout à coup une telle chaleur que j’eus l’impression que mes vêtements prenaient feu. La peau me brûlait. Au même instant, j’entendis une explosion formidable, suivie de quantité d’autres plus petites. Ma maison trembla sur sa base et je crus qu’elle allait se renverser. Toutes les vitres se brisèrent. Puis, le ciel s’obscurcit un instant et nous vîmes une pluie de terre s’abattre sur toute la région. » […]

L’expédition russe arriva soudain dans une partie moins dense de la forêt, qui semblait avoir été ravagée par le feu. Bientôt la forêt cessa complètement et les membres de l’expédition se trouvèrent sur les bords d’un immense cratère dont la seule végétation était de la mousse et des pervenches. Partout sur la terre, ce n’étaient que squelettes d’animaux carbonisés et troncs d’arbres déterrés et à demi brûlés. Ce désert immense était bien le lieu où était tombée la météorite monstre, il y avait exactement vingt ans. La terre avait été bouleversée et retournée sur près de 200 mètres de profondeur. Le seul fait que vingt ans après la végétation n’avait pas repoussé, révélait nettement l’importance du désastre qui s’était produit dans cette région[2]. »

[1]Source : Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/événement_de_la_Toungouska)

[2]Source : L’Écho d’Alger, 7 août 1929. Pour lire l’article complet : https://www.retronews.fr/sciences/long-format/2018/09/10/lenigmatique-chute-du-meteore-introuvable-de-siberie

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